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Les frontières à l’heure de la mondialisation

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La frontière est une limite entre deux espaces. Elle peut être linguistique, religieuse, économique, nationale, régionale ou autre encore mais quelle que soit sa nature elle a bien souvent été à l’origine de guerre entre les hommes. Elle est rarement intangible, sa finalité et son tracé évoluent avec le temps.
Depuis la fin de la première guerre mondiale le nombre de frontière n’a pas cessé d’augmenter. En 1914, le nombre total d’États généralement reconnus s’élevait à 53, actuellement l’Organisation des Nations-Unis reconnaît officiellement 197 états indépendants sans compter ceux qui aspirent à le devenir : Kosovo, Ossétie du sud, Kurdistan, Catalogne, etc. La mondialisation en cours n’a pas stoppé le processus de fragmentations des territoires. Les états issus de la décolonisation ou de l’effondrement du bloc soviétique n’en finissent pas de se morceler et les entreprises multinationales consolident la multiplication de micro-états qui sont autant de paradis fiscaux pour beaucoup (Bahamas, Tuvalu, Nauru, Tonga, Palaos, Sainte-Lucie, Kiribati, etc.).
Aujourd’hui deux logiques s’opposent. L’une vise à renforcer les frontières politiques pour préserver l’identité des citoyens qui vivent à l’intérieur d’un territoire. L’autre, au contraire, vise à rendre les frontières plus perméables voire à les abolir.

Dans le premier cas, il s’agit d’aider les citoyens à mieux conserver leurs traditions, leur système politique et leurs modes de vie spécifique. C’est la défense de l’état-nation à l’origine de l’émancipation des peuples contre les monarchies absolues du 19ème siècle ou contre le colonialisme au 20ème siècle. L’état-nation est également un dispositif d’exclusion à l’égard des étrangers et pérennise une certaine forme d’injustice dans la mesure où la géographie conditionne le revenu des citoyens. Un développeur informaticien pakistanais ou indien gagne dix fois moins que son homologue américain, à expérience et compétence égales. Une infirmière aux Philippines gagne moins de 200 euros après 10 ans d’expérience. Rien d’étonnant donc à ce que des milliers d’entre elles quittent le pays, principalement pour les Etats-Unis ou le Moyen-Orient où leurs qualifications sont reconnues : un excellent enseignement médical, leur est en effet dispensé en anglais, l’une des deux langues officielles des Philippines..

Le journal “Jeune Afrique” rapporte aussi le cas cet infirmier qui s’est immolé devant l’hôpital Gemena, localité de la province du Sud-Ubangi en République Démocratique du Congo. Il réclamait sa prime de risques de 38 euros. C’était son seul revenu, n’ayant pas le statut de salarié dans cet établissement public où il travaillait pourtant depuis 29 ans !

Dans le second cas, le monde sans frontière peut résulter d’une logique de conquête territoriale. Ce fut le cas de l’empire romain qui imposa lapax romana” aux divers peuples conquis. Sans frontières pour protéger leurs identités, ces peuples adoptèrent en grande partie les coutumes et la langue du vainqueur. Dans cette logique impériale, la violence est la force motrice de l’unification qui précède la paix.

Le monde sans frontière peut aussi provenir d’un désir d’entente et de coopération entre différents groupes humains. Ce fut cet état d’esprit humaniste qui abouti à la création de la Confédération helvétique en 1803 ou plus récemment à la constitution de l’Union européenne. Ce mouvement s’inscrit dans la philosophie du siècle des Lumières : un espoir, pour reprendre les mots de Kant[1] « qu’après maintes révolutions et maints changements, finalement un État cosmopolitique universel arrivera un jour à s’établir. » Pour ces derniers, un monde sans frontière nous rapproche de l’idéal démocratique où les valeurs universelles ne sont pas limitées à un territoire restreint.

En ce début du 21ème siècle, avec les nouvelles technologies qui permettent de communiquer en temps réel d’un bout à l’autre de la planète, la mondialisation de l’économie s’accélère et le monde sans frontière marchande, prévu par Adam Smith, s’installe.

A partir d’un simple smartphone, il est aujourd’hui possible de commander depuis Londres, chez Amazon ou chez Alibaba[2], n’importe quel objet fabriqué en Chine et de le faire livrer à Vancouver au Canada. De nombreux accords commerciaux bilatéraux, d’état à état, ou multilatéraux, entre grands ensembles économiques, encouragent et facilitent ces échanges. Les consommateurs sont les bénéficiaires de cette libéralisation mais les producteurs qui étaient protégés de la concurrence internationale perdent les protections artificielles dues aux tarifs ou aux barrières douanières. Certains ne survivent pas, d’autres innovent ou se créent des avantages concurrentiels en terme de qualité ou de service.

Plus encore que pour les marchandises, les frontières sont par ailleurs de moins en moins des obstacles à la libre circulation des capitaux. Dans ce contexte les entreprises transnationales ont pris en charge la direction d’une bonne part de l’économie mondiale et de grands groupes privés empiètent de facto sur la souveraineté des états nations.

Les organisations internationales (ONU, OMC, Banque mondiale, UNESCO…) et les quelque 4000 organisations non gouvernementales (Greenpeace, Médecins sans frontière, etc) sont également en mesure de contrecarrer les états ou de les amener à modifier leurs politiques. D’autres structures indispensables à l’organisation planétaire sont à l’œuvre au quotidien  comme l’union postale ou l’IATA[3] qui gère le transport aérien. L’évolution de l’ICANN[4] qui s’occupe de la gestion et de la normalisation de l’adressage sur Internet est par ailleurs significative des tendances actuelles. Jusqu’en 2016, l’ICANN dépendait du gouvernement américain qui avait la capacité d’orienter les décisions en fonction de ses intérêts. Les Etats-Unis ont dû céder face à la pression exercée par plus de 150 États dont la Chine, la Russie ou encore la France. Dorénavant, toutes les parties prenantes du web peuvent prendre part aux décisions. L’assemblée générale de l’ICANN se compose de quatre collèges : le secteur privé (Google, Amazon, Facebook, Apple, etc.), la communauté technique, les 160 états membres avec une voix chacun, la société civile (associations de consommateurs et de défense des libertés). Cette assemblée peut bloquer une décision du conseil d’administration.

Aujourd’hui les box internet permettent de regarder une chaine de télévision diffusée à l’autre bout de la planète. La musique en mp3 et le cinéma en mp4 ou sous d’autres formats numériques circulent partout sans avoir besoin de support matériel. Les œuvres s’écoutent et s’échangent à travers le monde sans restrictions ou presque. Sur ces cinq dernières années, la croissance de l’internet atteint les 1000% en Afrique. Dans le monde entier, des milliards d’utilisateurs interrogent Google et échangent sur Facebook ou sur d’autres réseaux sociaux. Les idées et les opinions font fi des frontières. L’information est mondialisée.

En 1888, Louis Pasteur affirmait déjà que “La science n’a pas de patrie, car la connaissance appartient à l’humanité, c’est un flambeau qui illumine le monde”. En ce début de 21ème siècle, la science n’a jamais été aussi mondialisée. Les échanges internationaux de chercheurs et d’étudiants se généralisent. La vitalité d’un pays se mesure d’ailleurs en partie à sa capacité à accueillir et à attirer des chercheurs et étudiants étrangers dans ses écoles et ses universités. En Europe, le programme communautaire Erasmus, qui permet aux étudiants er aux apprentis de se former à l’étranger, est appelé « Études sans frontières ».

Depuis l’an 2000, les dépenses globales de R&D ont plus que doublé et cet effort n’est plus l’apanage des pays développés. Les pays émergents ont compris que la technologie et l’innovation sont les clés d’un développement économique et social réussi sur le long terme. En 2015 la Chine avait ainsi franchi le cap des deux millions de chercheurs, soit 6 fois plus que la Russie. La Corée en avait presque un demi million. La Turquie avec 200.000 chercheurs s’approche du niveau de la France (380.000).   Singapour ou l’Afrique du sud ont aujourd’hui autant de chercheurs que la Norvège ou la Hongrie. Tous ces chercheurs échangent entre eux et préparent ensemble un nouveau monde, globalisé et multipolaire, qui remplacera celui dominé jadis par l’Occident.

Des coopérations internationales se développent dans le domaine de la santé ou dans celui de la conquête spatiale. La nécessité d’aller plus loin sur le chemin de cette coopération devient une évidence pour tenter de résoudre les grands problèmes globaux qui se posent à l’humanité : la préservation de l’environnement, la biodiversité, la sécurité alimentaire, la ressources en eau, le dérèglement climatique, etc.

Les hommes eux-mêmes s’internationalisent. Le coréen Myung-Whun Chung intègre, à sept ans seulement, l’Orchestre philharmonique de Séoul. A vingt et un ans, il obtient le deuxième Prix du Concours Tchaïkovski de Moscou Aux États-Unis, il a conduit l’Orchestre du Metropolitan Opera de New York, les Orchestres Symphoniques de Chicago, Boston, Los Angeles, Cleveland et de Philadelphie. En Europe, il dirige l’Orchestre Symphonique de la Radio de Sarrebruck, l’Orchestre de l’Académie Sainte-Cécile de Rome et assure la direction artistique et musicale de l’Orchestre de l’Opéra de Paris pendant plusieurs années avant de prendre la direction l’Orchestre philharmonique de Radio France. Il reçoit en 2013 le prix « Una vita per la musica » remis à La Fenice au nom de la ville de Venise avec remise symbolique des clés de la ville.

Le sénégalais Ery Camara, ancien directeur adjoint du musée national d’anthropologie de Mexico, est aujourd’hui un commissaire d’exposition indépendant reconnu internationalement dans le monde des beaux-arts. Ery Camara, fut Président du jury de la biennale de Venise, invité à la Documenta de Cassel en Allemagne et membre du jury de la biennale d’art contemporain de Dakar. Son parcours, comme celui de Myung-Whun Chung, illustre une autre donnée toujours actuelle : l’art transcende les frontières.

Chaque jour, la France première destination touristique au monde, reçoit quelque 230.000 visiteurs, les Etats-Unis en reçoivent 220.000 et la Chine 160.000. Même le micro-état des Tuvalu, archipel polynésien, reçoit en moyenne 5 touristes internationaux par jour. Les Chinois sont ceux qui voyagent le plus : 230 millions sortent annuellement de leur pays, les Américains sont 130 millions à le faire, les Allemands sont 85 millions, les Italiens 65millions et les Français 30 millions. Chaque année, environ 1,3 milliards de touristes qui franchissent une frontière. Le tourisme de masse est devenu un des secteurs économiques majeurs de la planète.

Mais il n’ y a pas que les touristes qui franchissent les frontières. Le nombre de réfugiés et les migrants a explosé en ce début du 21ème siècle. Ils s’ajoutent aux autres millions d’immigrants réguliers qui ont quitté leur pays pour des raisons économiques. Ces personnes finissent par s’intégrer et avec le temps deviennent des traits d’union entre leur terre d’accueil et leur terre d’origine. Les turcs ou les kurdes installés avec leurs familles en Allemagne tissent plus de liens entre l’Europe et l’Asie mineures que tous les traités possibles.

Malgré les dangers, les craintes et les conservatismes qui peuvent imposer un temps des retours en arrière, le monde évolue vers un monde ouvert, conscient que la plupart des défis majeurs sont mondiaux plutôt que locaux.

Si les frontières sont bel et bien en train de tomber dans de nombreux domaines, cette tendance vers l’universalité ne signifie pas pour autant la suppression des États.

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[1] Emmanuel Kant, Idée d’une histoire universelle d’un point de vue cosmopolite, 1784
[2] Leader chinois de la vente en ligne (concurrent asiatique d’Amazon)
[3] International Air Transport Association
[4] Internet Corporation for Assigned Names and Numbers

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