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Blockchain : la nouvelle vague

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La blockchain – chaîne de blocs en français – est une technologie informatique qui va révolutionner les transactions, entre les particuliers comme entre les entreprises, qu’il s’agisse de monnaies, de titres financiers, d’achats ou de vente de biens, de contrats ou d’accords de toutes natures et dans tous les domaines. L’impact prévisible du protocole blockchain sur les transactions sera comparable à celle d’internet sur la communication et l’information. Les banques, les assurances, les professions juridiques pourraient être parmi les premiers secteurs de l’économie à être impactés par la blockchain mais peu à peu toutes les activités humaines seront concernées. La vie politique pourrait également être bousculée par cette nouvelle technologie susceptible d’entrainer un renouveau de la participation des citoyens à la chose publique.

La caractéristique du protocole blockchain est qu’il fonctionne sans organe central de contrôle tout en garantissant des transactions sécurisées, rapides, transparentes et offrant une parfaite traçabilité des opérations. Une blockchain conserve par ailleurs une base de données qui contient l’historique de tous les échanges effectués entre ses utilisateurs depuis sa création.

Cette base de données est partagée par ses différents utilisateurs, sans intermédiaire et sa fiabilité est garantie par un processus de signatures numériques, de cryptage des données et de contrôle collectif décentralisé des processus. Lors du processus de validation des données, certaines tâches très techniques sont dévolues à certains membres de la chaîne – les « mineurs » – dont aucun ne peut ni disposer de l’autorité globale pour orienter les processus ni altérer les données cryptées contenues dans la base commune. Les « mineurs » reçoivent des compensations pour leur travail, par exemple une somme de monnaie virtuelle comme le bitcoin.

La technologie Blockchain renoue avec les caractéristiques des débuts de l’internet . D’une part l’architecture est décentralisée, c’est-à-dire qu’elle n’est pas hébergée par un serveur unique mais par les ordinateurs des utilisateurs (ou du moins une partie d’entre eux). D’autre part il n’y a pas d’intermédiaire, chacun a un accès à la chaîne pour vérifier l’exactitude des données et le mode de fonctionnement. Autre avantage, pirater une blockchain est quasiment impossible puisqu’il faudrait pirater simultanément au moins la moitié des ordinateurs qui assurent le fonctionnement de la chaine. La sécurité d’une blockchain est donc bien supérieure aux applications actuelles qui reposent sur un seul serveur central.

La première application de la technologie Blockchain, réalisée par les militants de l’internet libre, a été la création en 2008 d’une monnaie virtuelle, le bitcoin, indépendante des banques et des états. Après quelques années pendant lesquelles le bitcoin est resté confidentiel, la solidité du protocole et la ténacité de ses créateurs ont permis de démontrer la viabilité du concept. La blockchain Bitcoin, publique et donc ouverte à tous, s’est alors mis à rencontrer un succès grandissant et la monnaie Bitcoin a commencé d’être reconnue comme moyen de paiement pour acheter des biens et des services. Au Japon, le Bitcoin  est même accepté comme moyen de paiement légal depuis 2017

Le succès du bitcoin a suscité la création d’autres blockchains et d’autres monnaies virtuelles : Ether, XRP, Litecoin, Stellar, Tether, Monero, Cardano, EOS, etc. Des sites spécialisés offrent la possibilité de créer un portefeuille virtuel où les crypto-monnaies peuvent être achetées ou échangées contre des devises officielles : dollars, euros, yen, yuans, etc. Les cours, encore très volatils et spéculatifs, peuvent connaître des flambées mais aussi des corrections sévères d’un jour sur l’autre. Bien que fluctuante, la valeur monétaire des crypto-monnaies en circulation se chiffre déjà en centaines de milliards de dollars, dont une bonne partie provient d’Asie.
Les sociétés privées s’y intéressent également,

En 2019, Facebook franchit une nouvelle étape en lançant Libra (devenu depuis Diem), un projet de crypto-monnaie associé à un système révolutionnaire de paiement international basé sur la blockchain. Les décideurs politiques et les banques centrales ne tardèrent pas à réagir. Facebook, qui prévoyait de garantir sa monnaie sur un panier de devises internationales, se trouva immédiatement confronté à l’hostilité des pouvoirs en place. Les États virent d’un mauvais œil cette monnaie indépendante qui pouvait menacer leur souveraineté monétaire. Les grandes banques et les autorités de régulation mirent rapidement en avant la nécessité de protéger les consommateurs et érigèrent de sévères barrières règlementaires. Facebook dut faire partiellement marche arrière. La Libra ne sera pas assise uniquement sur un panier de monnaie. La libra pourra être devenir libra-euro, libra-dollar, etc. Son taux de change vers chaque monnaie nationale se fera sous la surveillance des agences de régulation. Le réseau social, avec ses filiales de messagerie, pourra néanmoins s’appuyer sur près de 3 milliards d’utilisateurs potentiels pour crédibiliser sa monnaie privée.

La crypto-monnaie, avec les possibilités de transactions plus sécurisées et plus fiables de la blockchain, pourrait ainsi être une option prometteuse face aux cartes de crédit des banques et des opérateurs financiers. Dans un monde où le dollar a perdu de son lustre, où l’euro peine à devenir une monnaie de référence internationale et où de nombreux pays ne disposent pas de réseaux bancaires fiables, les crypto-monnaies, privées ou associatives, pourraient même devenir des alternatives aux monnaies nationales.

Pour le moment, seule la Chine, qui a fait de la blockchain une de ses priorités, a prévu la création d’une monnaie virtuelle officielle. L’objectif serait de remplacer l’argent liquide et de permettre à la Banque Populaire de Chine de lutter contre le blanchiment d’argent sale. Le gouvernement pourrait aussi suivre en temps réel ce que chaque chinois fait de son argent.

Si la technologie blockchains a été mise au point pour lancer le Bitcoin, son potentiel d’application est bien plus large que le domaine des crypto-monnaies. Tous les secteurs économiques  sont concernés : les banques, les assurances, les professions juridiques, le commerce, la grande distribution, l’immobilier, les médias, l’industrie automobile, l’industrie agro-alimentaire, l’aéronautique, l’industrie pharmaceutique, etc. La techologie blockchain peut en fait déboucher sur une nouvelle forme d’économie avec des gains considérables de productivité et de coûts.

Ainsi un consortium de banques et d’industriels ont lancé Komgo, une société de service dédiée au commerce de matières premières à partir d’une plateforme utilisant la technologie blockchain. Dès les premiers tests de validation de sa blockchain, Komgo a par exemple été en mesure de traiter la livraison de graines de soja depuis les Etats-Unis jusqu’en Chine cinq fois plus rapidement qu’avec les circuits traditionnels des transactions de ce type. Souleïma Baddi, présidente de Komgo et ancienne responsable de la division commerce et négoce de la Société générale de Genève espère faire de Komgo une référence dans son domaine[1].

Conçue pour rendre infalsifiables les données qu’elle contient, certaines blockchains, notamment Ethereum, permettent en outre d’exploiter des modules « smart contracts ». Ces programmes exécutent automatiquement et sans intervention humaine les engagements d’un contrat si l’ensemble des conditions sont réunies.

Utocat, une startup innovante et l’INRIA[2] de Lille ont ainsi développé pour l’assureur AXA, une assurance paramétrique de retard d’avion baptisée Fizzy et commercialisée à l’échelle mondiale. L’assurance rembourse automatiquement et sans démarche les détenteurs d’un contrat Fizzy dès que les conditions d’indemnisation du retard sont déclenchées. Les clients reçoivent ainsi leur argent sans délai et sans avoir besoin de faire quoi que ce soit. De plus les données étant certifiées dans la blockchain et aucune intervention humaine n’étant requise, on réduit la fraude et les erreurs.

Selon une enquête réalisée par le cabinet PwC dans15 pays auprès de 600 cadres dirigeants, 80% d’entre eux signalent des initiatives blockchain en cours dans leur entreprise. Pour un quart d’entre elles une blockchain est déjà opérationnelle ou en phase de tests de validation. Concernant les pays précurseurs en la matière (principalement Etats-Unis, Chine, Australie), 30% des répondants à l’enquête PwC estiment que la Chine aura dépassé les États-Unis dans 3 à 5 ans, déplaçant le centre d’influence et d’activité de la blockchain en dehors des États-Unis et de l’Europe[3].

Leur pronostic est justifié dans la mesure où les pouvoirs publics chinois, qui ont décidé d’accélérer la digitalisation du pays, ont fait de la blockchain une des priorités de leur treizième plan quinquennal dédié à l’informatique. Parmi les projets phares qui s’appuient déjà sur la blockchain, figurent la création d’une monnaie virtuelle par la banque populaire de Chine et la collecte de certains impôts. De leur coté, les villes se dotent également d’équipes dédiées au développement des applications blockchain pour tirer parti de cette nouvelle technologie au plan local. Le secteur privé accompagne également le mouvement. Un projet pilote de « smart city » basé sur la blockchain et la voiture électrique vient ainsi d’être lancé et financé à hauteur de 30 milliards de dollars par Wanxiang, un industriel de l’automobile.

Au delà de son impact sur l’économie, le développement de la Blockchain dans les activités humaines aura des conséquences sociétales comme le souhaitaient les initiateurs du Bitcoin et de la première blockchain. En effet la Blockchain, en évitant la multiplication des intermédiaires prépare un monde moins pyramidal. Par nature elle encourage la coopération et le travail collaboratif entre les utilisateurs. Elle est donc à l’opposé du cadre libéral actuel qui donne la possibilité à quelques intermédiaires de capter la valeur produite par le plus grand nombre. La généralisation de la Blockchain annonce la fin des plateformes centralisées comme Airbnb, KissKissBankBank, Uber, BlaBlaCar et autres au profit de structures décentralisées qui préservent l’intérêt de leurs membres.

Quelques startups préparent activement cette évolution. Par exemple La`Zooz est une application basée sur la blockchain développée par un groupe de jeunes développeurs pour faciliter la mobilité collaborative et la création de liens d’amitié entre les personnes. La`Zooz permet aux conducteurs qui ont des sièges vides dans leurs voitures et aux passagers qui recherchent un moyen de locomotion bon marché de se retrouver sur la blockcain à laquelle chacun adhère librement. Une monnaie virtuelle, le « zooz », spécifique de l’application permet à la communauté de fixer de façon dynamique, selon un protocole sophistiqué, le poids des « contributions » ou « récompenses » de chaque membre, utilisateurs, développeurs et « mineurs ». Contrairement à Uber ou à Blablacar, le service n’est pas la propriété des fondateurs ou d’un investisseur extérieur mais il est autogéré par la communauté des utilisateurs. La`Zooz lancé à l’origine en Israël connaît déjà un succès croissant dans de nombreux autres pays.

La blockchain se prête aussi particulièrement bien à l’organisation de consultations populaires par voie électronique. En Colombie, la Fondation pour la Démocratie Mondiale[4], un collectif international multidisciplinaire « crypto-politique » a mis à disposition des citoyens leur plateforme Sovereign pour organiser des consultations expérimentales sur des thèmes comme l’accord de paix avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et les mesures à prendre pour lutter contre le trafic de drogue. En Corée du sud et en Estonie, la blockchain est également en expérimentation pour permettre une plus grande participation des citoyens à la vie politique. En France l’idée fait également son chemin : à Montpellier, une ville appelée à devenir une des premières smart cities de France, “Civis blockchain” a développé une démarche qui visant à développer et à promouvoir l’implication éco-citoyenne dans la modernisation de la ville [5].

C’est toutefois aux Etats-Unis, en mai 2018, qu’une première collectivité locale, l’Etat de Virginie, a utilisé la technologie blockchain pour une élection reconnue par la loi.

De nombreuses startups ou collectifs bénévoles, locaux ou transnationaux, travaillent actuellement sur des blockchain dédiée à la démocratie participative, notamment pour les questions d’environnement, de transport et d’aménagement de l’espace public. Incorruptible et horizontale, la blockchain pourrait ainsi déboucher une gouvernance plus ouverte, plus participative, plus transparente et en fin de compte plus démocratique. A une époque où les citoyens prennent leurs distances avec les idéologies et avec les élus, la blockchain pourrait leur permettre de se réapproprier la décision politique ou tout au moins de mieux y contribuer.

Bien que la blockchain soit prometteuse et qu’elle bénéficie du soutien massif des pouvoirs publics de pays déjà en avance sur les nouvelles technologies (USA, Chine, Corée, Autralie…) d’autres pays, notamment en Europe, sont plus prudents et attendent que cette technologie fasse davantage  ses preuves avant de décider d’y consacrer des moyens importants. L’avenir nous dira qui a raison.

Blockchains : ouvertes ou fermées?

Les protocoles de chaînes de blocs pouvent être distingués selon qu’ils sont ouverts à l’écriture et à la lecture sans restriction ou que l’une ou l’autre de ces opérations est soumise à l’acceptation d’un tiers. On parlera de blockchains ouvertes (ne requièrent pas d’autorisation) ou fermées (requièrent une autorisation) ou encore de blockchains publiques ou privées. Les protocoles de blockchains sans restriction d’accès sont les plus connus. Ils soutiennent le bitcoin ou l’ether. N’importe qui peut en devenir un nœud, et ces protocoles nécessitent une méthode de consensus. Il existe aussi un grand nombre de protocoles à restriction d’accès, pour certains particulièrement aboutis et déjà opérationnels. Parmi ces derniers, les blockchains «de consortium» résultent du regroupement de plusieurs organisations indépendantes, voire concurrentes, utilisant la blockchain pour archiver dans un registre décentralisé des transactions sécurisées,ou échanger des actes certifiés,sans avoir à faire intervenir un tiers de confiance. D’autres protocoles sont utilisés au sein d’une même organisation, pour simplifier et automatiser des échanges et des certifications. Dans une blockchain privée, une autorité régulatrice valide l’introduction de nouveaux membres, et accorde les droits en écriture et en lecture. Cette autorité peut être seule aux commandes, ou gouvernée collégialement par les différents participants. À la différence d’une blockchain publique, les blockchains privées peuvent exiger une majorité renforcée. De même, il suffit de trois participants pour faire fonctionner une blockchain privée, tandis que les blockchains publiques sont appelées à en compter plusieurs milliers. Un débat existe pour qualifier les blockchains privées de «vraies» ou de «fausses» blockchains, sachant que créer un produit recourant à ces technologies est aussi un enjeu de marketing. [6]

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[1] Nicolas Certes. 15 sociétés, dont BNP Paribas et Crédit Agricole, créent la plateforme blockchain Komgo. Le Monde Informatique (20 Septembre 2018).
[2] Inria : institut national de recherche en sciences du numérique. L’Inria est un établissement public français à caractère scientifique et technologique qui emploie 2400 collaborateurs issus des meilleures universités mondiales.
[3] Cabinet PwC. « Blockchain is here. What’s your next move? » – enquête réalisée en mai 2018
[4] en anglais : Democracy Earth Foundation (www.democracy.earth).
 [5] Livre blanc : Rendre la Smart City aux citoyens. Civis blockchain (2018)
[6] Les notes scientifiques de l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (n°4, avril 2018) : comprendre les blockchains. Valéria Faure – Muntian et Claude de Ganay, députés, Ronan Le Gleut, sénateur.

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