Avec l’invasion de l’Ukraine, Poutine, enfermé dans sa bulle idéologique, viole le droit international. Sa guerre pour régler un problème politique avec son voisin ressort d’une logique d’un autre âge.
De nos jours, une intervention militaire résout rarement un problème politique comme nous l’enseigne l’histoire récente du Vietnam, de l’Irak, de la Libye, de l’Afghanistan où encore du Sahel.
Il ne peut en résulter que des morts inutiles et d’immenses souffrances pour les populations concernées. Cette fois, la brutalité affichée d’un dirigeant d’une grande puissance nucléaire peut de plus faire courir d’immenses risques au monde entier.
Pour éviter l’escalade mortifère, la diplomatie doit reprendre le dessus et le plus tôt sera le mieux pour ne pas laisser le champ libre aux jusqu’au-boutistes de tous bords. La diplomatie n’apportera toutefois une réponse appropriée à la situation actuelle que si elle prend en compte la dimension historique qui s’attache à la relation bien spéciale entre l’Ukraine et la Russie.
Les origines de la Russie remontent au IXème siècle quand le prince de Kiev fédère les principautés slaves de la région. Kiev devient alors « la mère de toute les villes russes » selon les chroniqueurs du Moyen-Âge.
Avec le baptême, selon le rite byzantin, de Vladimir le Grand (saint Vladimir) à Kiev en l’an 988, la Russie de Kiev s’affirme comme une terre chrétienne. Au siècle suivant elle connaitra son âge d’or et l’église orthodoxe deviendra le fer de lance de l’âme russe.
Au fil des siècles l’aire de peuplement russophone s’étendra le long de la Volga, puis vers l’Oural et jusqu’aux rivages de la Baltique au nord. L’irruption des Mongols et les guerres de succession des princes de Kiev vont cependant faire basculer le centre de gravité de la Russie vers le nord. L’une des principautés slaves, la Moscovie, finira par annexer progressivement toutes les autres pour devenir le nouveau cœur de la Russie.
Par la suite, malgré quelques velléités d’indépendance, l’actuelle Ukraine restera pour l’essentiel sous domination russe ou autrichienne. Ce n’est qu’en 1917, alors que la Première Guerre mondiale et la Révolution russe détruisaient les Empires russe et autrichien, que les Ukrainiens purent déclarer leur indépendance. Une indépendance de courte durée : dès 1920, les bolcheviks prennent le contrôle du pays qui est intégré à l’URSS en 1922. Il faudra attendre 1991et l’effondrement de l’empire soviétique pour que l’Ukraine puisse de nouveau proclamer son indépendance.
Aujourd’hui l’Ukraine est toutefois loin d’être un pays homogène. L’ouest est culturellement proche de la Pologne. La Crimée, le Donbass et plus largement l’est du pays sont en grande partie russophones. Malgré leur diversité, la majorité des ukrainiens ne souhaite ni le retour d’un régime soviétique ni la mainmise de leur pays par un ancien responsable du KGB. Par contre, ils souhaitent une bonne entente avec la Russie car près de la moitié des Ukrainiens ont des liens familiaux avec des Russes.
Le point de départ du conflit actuel est la déclaration unilatérale de l’indépendance des républiques de Donetsk et de Lougansk. Plutôt que de choisir la négociation et une voie pacifique comme celle préconisée par les accords de Minsk, les autorités ukrainiennes ont cherché à reprendre ces républiques par la force. Les anglo-saxons, ont joué avec le feu en fournissant de plus en plus d’armes aux Ukrainiens, utilisant des intermédiaires passablement corrompus profitant de la situation pour s’enrichir rapidement. Avec ces armes modernes, les forces ukrainiennes allaient bientôt être en mesure de reprendre les zones séparatistes. C’est ce qui a motivé Poutine à prendre les devants quitte à provoquer un bain de sang.
Alors que faire ?
Continuer l’escalade ? Les résultats seront catastrophiques pour les peuples. La Russie se rapprochera davantage de la Chine voire de puissances comme l’Iran et un bloc oriental se constituera face à un bloc occidental. Rien de bon ne pourra sortir d’un tel antagonisme. Une guerre globale, suicidaire pour la planète, ne pouvant même être exclue aujourd’hui.
Ne rien faire est aussi une mauvaise solution. Agir reste donc absolument nécessaire mais en prenant du recul pour voir au-delà de Poutine. L’hôte actuel du Kremlin ne sera pas éternel et ses exactions se retourneront contre lui plus vite qu’il ne le pense lui-même. Son propre peuple ne pourra accepter de voir ses enfants mourir pour attaquer le peuple frère d’Ukraine. La manipulation des médias et les fausses informations ne pourront pas cacher bien longtemps le retour des cercueils. Poutine sortira de l’histoire et à terme, une nouvelle vision du monde s’imposera.
La Russie et l’Europe ont des liens anciens et historiques. Ceux-ci ont été ravivés après la fin de l’ère soviétique. De nombreux liens économiques se sont tissés. La Russie est aujourd’hui le premier fournisseur d’énergie de l’Union. Malgré le désir de l’Amérique d’exporter son gaz de schiste en Europe, l’intégration énergétique de l’Europe et de la Russie est dans le sens de l’histoire. Tout ou tard le projet Nord Stream 2, un gazoduc de 1.200 km reliant la Russie à l’Allemagne par la Baltique, se concrétisera et doublera le gazoduc Nord Stream 1 déjà existant depuis 2011. Dans l’état actuel des choses, l’Europe et surtout sa partie centrale et est ne peut se passer du gaz russe.
Sans que cela fasse la une des journaux, une collaboration scientifique durable s’est mise en place en place entre la Russie et les États membres de l’UE . Des programmes d’échanges et de recherche contribuent aujourd’hui à renforcer les liens dans de nombreux domaines du futur : aéronautique, espace, matériaux, nanosciences, climat, etc.
Malgré des tensions qui peuvent exister entre Moscou et l’Occident, les peuples Européens sont, à une écrasante majorité, favorables à un rapprochement avec la Russie. Un sondage, réalisé par l’institut IFOP, révèle ainsi que 87 % des Allemands ou encore 79 % des Français souhaitent l’amélioration des relations avec la Russie. Même les Polonais, sont favorables, à 85%, à un rapprochement avec une Russie qui ne serait plus poutinienne.
Selon les traités fondateurs de l’Europe, rien n’empêche l’adhésion de la Russie à l’UE. Par ailleurs si l’Europe implique une adhésion à des valeurs et à des principes communs, cela ne signifie pas uniformisation. L’aspiration de ses peuples à s’unir est très forte, à condition que soient garanties les identités nationales et régionales.
Si l’Union Européenne évolue pour prendre en compte la nécessité de conserver l’extraordinaire richesse culturelle et linguistique du continent, les citoyens feront de l’Europe le continent auquel on est fier d’appartenir. Dans une perspective de long terme d’où des dirigeants belliqueux auraient été relégués aux oubliettes, la Russie et l’Ukraine, mais aussi la Moldavie, la Géorgie et l’Arménie ont vocation à se retrouver dans un ensemble plus vaste : une Europe unifiée qui aura le poids nécessaire pour maintenir le continent dans le jeu des grandes puissances du monde multipolaire. Ayant abandonné toute velléité d’hégémonie, elle n’en occupera pas moins une place centrale dans la coopération mondiale par son éthique, ses bonnes relations et ses liens historiques avec le reste du monde.
Ne serait-il pas temps d’inciter nos dirigeants à prendre au sérieux ce rêve et d’en faire une stratégie ?