Les effets du réchauffement climatique sont beaucoup plus importants aux pôles que dans le reste du monde. Depuis 1980, la glace de l’océan arctique a déjà perdu 75% de son volume et la banquise devrait avoir totalement disparue aux alentours de 2050 [1].
La glace de couleur blanche, réfléchit une bonne part du rayonnement solaire. Ce pouvoir réfléchissant, c’est l’albédo. Quand la glace fond, l’albédo diminue : le rayonnement solaire est davantage absorbée par la terre ou par l’océan. Une boucle de rétroaction positive se met en place. Le réchauffement s’amplifie et la fonte s’accélère. C’est ce même processus qui fait que sur les terres polaires du Canada ou de la Sibérie, la végétation remonte vers le nord et que la surcroissance végétale y est au moins deux fois plus rapide que dans le reste du monde.
Au courant du 21ème siècle, la dislocation progressive de la banquise et le rétrécissement de la surface du pergélisol[2] va bouleverser le panorama arctique. De nouvelles routes maritimes s’ouvriront pour relier les divers continents en passant par le pôle.
La route reliant la Chine à l’Europe est bien plus courte par la côte sibérienne que par le canal de Suez. Le trajet Londres-Vladivostok totalise 11.000 milles marins par le canal de Suez , mais seulement 7.670 milles par le détroit de Béring. Pour aller de Hambourg à Vancouver, il faut compter 14.700 milles par le cap Horn, 9.350 milles par le canal de Panamá et 8.090 milles la route du pôle. La liaison maritime Rotterdam – Tokyo représente entre 21 et 23.000 km selon que l’on emprunte le canal de Suez ou le canal de Panama. En passant par la voie sibérienne il se réduit à 14.000 km. Pour les navires reliant l’Asie et l’Europe, l’économie dépasse le million de dollars par voyage, du fait des réductions du temps de trajet, du moindre coût en carburant, des salaires, des péages pour franchir les canaux sans compter l’absence de contraintes de largeur et de tirant d’eau liées à la traversée des canaux. Le trafic dans le détroit de Behring a déjà doublé ces 5 dernières années. Lors du forum arctique organisé en 2017 à Arkhangelsk, grand port sur la mer Blanche à 735 km au nord-est de Saint-Pétersbourg, le président Poutine affichait l’objectif russe : parvenir, dès 2030, à organiser un flux de de 30 millions de tonnes de marchandises sur le long de la voie du nord soit 20 fois plus qu’actuellement. C’est dans cette perspective que les Russes s’apprêtent à construire, avec des investisseurs chinois, un nouveau port en eaux profondes à Arkhangelsk, relié, d’ici à 2030, par une nouvelle voie de chemin de fer à l’Oural et à la Sibérie.
Il fut un temps où la Norvège dominait le monde nordique du Groenland au Danemark en passant par l’Islande, les îles Féroé et la Finlande. Aujourd’hui la Norvège, dont le niveau de vie des habitants est le plus élevé du monde, est aussi un des pays les plus impliquée dans la mondialisation. Très actif au sein du Conseil de l’Arctique, la Norvège dispose d’infrastructures de premier plan comme le port de Kirkenes (libres de glace toute l’année) et elle se verrait comme la plaque tournante des navettes polaires. Plus au sud, selon Björn Gunnarsson, directeur du Centre de logistique du Grand Nord (CHNL), l’Islande pourrait devenir un hub, un point de connexion central ouvrant vers les 3 routes polaires, celle du nord-est sibérien, celle du nord-ouest canadien et celle directe par le Pôle Nord si le réchauffement climatique est suffisant pour libérer le pôle.
La Chine, qui a obtenu en 2013 un siège d’observateur au Conseil de l’Arctique[3] s’intéresse déjà à cette option comme à toutes les autres routes maritimes polaires. Selon l’Agence Chine Nouvelle (Xinhua), la ville de Hunchun, situé la fois près de la Corée du Nord et de la Russie, pourrait devenir une plateforme portuaire de l’importance de Singapour dans les prochaines années. Le chinois Cosco, l’un des plus grand armateur mondial de porte-conteneur, annonce l’accélération de ses projets de lignes par la voie du Nord-Ouest. Les affaires maritimes chinoises viennent par ailleurs de publier leur premier manuel d’instructions pour la navigation polaire. Enfin la République populaire dispose d’un navire de recherche spécialisé pour les expéditions arctiques et elle vient de lancer son premier brise-glace entièrement fabriqué en Chine.
Le Canada, membre fondateur du Conseil de l’Arctique et deuxième puissance de régionale après la Russie, est appelé à jouer un rôle majeur dans cette région du monde. En 2014, année où le Canada assurait la présidence tournante du Conseil de l’Arctique, Ottawa a accueilli « Arctic Change » la plus importante conférence internationale sur les sciences arctiques. Plus de 1200 chercheurs internationaux spécialistes de l’Arctique, dirigeants autochtones, décideurs, membres de communautés nordiques, représentants d’ONG et intervenants du secteur privé ont débattu à cette occasion des problèmes pressants auxquels l’Arctique doit faire face. Outre les opportunités économiques qui apparaissent avec le réchauffement climatique, les participants n’ont pas occulté les nombreux défis associés au développement de cet environnement fragile : problèmes sociaux et sanitaires dans les communautés nordiques, sauvetage des espèces animales menacées, préservation de l’environnement, etc.
L’arrivée au pouvoir, en 2015, du jeune président Justin Trudeau et de son équipe a permis par ailleurs de relancer la coopération positive entre l’occident et la Russie sur des bases pragmatiques et non plus idéologiques. Lors de la dernière conférence internationale annuelle Arctic Frontiers qui réunissait à Tromsø en Norvège plus de 1000 participants, représentants d’universités, de gouvernements et d’entreprises, Mme Pamela Goldsmith-Jones a réaffirmé au nom de son gouvernement que « le Canada est résolu à renforcer ses partenariats avec les toutes autres nations arctiques ».
Le Canada compte développer la route maritime du Nord ouest, le pendant de la route sibérienne du Nord-Est. Ce passage est toutefois plus difficile à développer. Le cheminement est plus tortueux dans l’archipel désertique du nord canadien où les infrastructures y sont presque inexistantes contrairement à la voie sibérienne qui dispose le long de ses cotes de ports et de bases pouvant secourir les navires en détresse. Les difficultés de navigation étant liées à la présence des glaces, le développement maritime de la route de l’Est dépendra en grande partie de l’ampleur du réchauffement climatique.
L’exploitation des hydrocarbures qui a déjà commencé en Russie, au Canada et en Alaska devrait se développer. De nouveaux gisements importants de gaz ou de pétrole ont été identifiés en région côtière, sur les fonds du plateau continental, à proximité d’anciens bassins sédimentaires. Selon une étude de l’Institut d’études géologiques des Etats-Unis (USGS), l’Arctique recèlerait 13% des réserves mondiales de pétrole et 30% de celles de gaz. L’arctique est aussi riche de minerais : cuivre, or, diamants, nickel, fer, plomb…
Avec l’essor du grand nord, des villes nouvelles vont apparaître. Laurence C. Smith, un géographe de l’Université de Californie à Los Angeles, qui connaît bien la zone arctique pour y avoir conduit de nombreuses missions, prévoit l’émergence de villes importantes au Canada dans les Territoires du Nord-Ouest, au Nunavik et au Nunavut. Il se base sur l’exemple de Fort McMurray dans la province d’Alberta, qui, au cœur de la forêt boréale et sur la plus grande réserve de sable bitumineux au monde, a connu la plus grande croissance démographique du Canada de ces dernières années. Comme tous les pays arctique, le Canada investit lourdement pour relier son grand nord au reste du pays. Par exemple, une grande route d’une dizaine de mètres de large reliera bientôt Inuvik, ville dans les Territoires du Nord-Ouest, au village inuit de Tuktoyaktuk, sur les rives de l’océan Arctique.
Le Groenland est la deuxième plus grande île du monde avec une superficie quatre fois plus grande que la France mais dont la population (57.000 habitants) est comparable à celles de principautés comme Andorre ou Monaco. Rattaché à la couronne danoise, le Groenland, peuplé à 90% d’Inuits, bénéficie d’une très large autonomie. Ce statut lui a déjà permis, en 1985, de décider par référendum de sortir de l’Union Européenne à laquelle le Danemark avait adhérait en 1973. En 2016 le gouvernement groenlandais a franchi une nouvelle étape en annonçant la création d’un ministère spécifiquement chargé de préparer l’indépendance. Des accords ont été conclus avec la puissance tutélaire pour en spécifier les modalités. Aux termes de cet accord, il est prévu que le Danemark se désengage progressivement du financement du territoire à un rythme qui correspondra à celui de l’augmentation des rentrées financières liées escomptées avec l’exploitation du sous-sol. Plus de la moitié du budget groenlandais provient encore de l’aide danoise mais le contexte évolue vite et selon les dernières estimations, le Groenland devrait pouvoir atteindre l’indépendance complète au cours de la prochaine décennie compte-tenu du réchauffement climatique qui facilite l’essor minier.
Il faut dire que les convoitises ne manquent pas et que le Groenland a de sérieux arguments pour attirer les investisseurs étrangers. Outre des réserves d’hydrocarbures, le Groenland a lui seul renfermerait 600.000 tonnes d’uranium et environ un quart des réserves mondiales de terres rares, ces métaux indispensables pour la fabrication des smartphones et des ordinateurs.
Parmi les grands projets en cours, celui de Kvanefjeld est sans doute le plus emblématique. Le site renferme le deuxième gisement au monde de terres rares, un sixième des réserves mondiales d’uranium et quelques autres minerais recherchés comme le fluorure de sodium. Le site est géré par la Greenland Minerals and Energy Ltd, une société australienne, dans laquelle le chinois Shenghe Resources vient de prendre 12,5% du capital. L’accord entre les deux firmes prévoit une montée en puissance de l’opérateur chinois jusqu’à 60% quand le site atteindra son plein développement opérationnel. Cet investissement, stratégique pour les chinois qui jouissent déjà d’un quasi monopole sur les terres rares, illustre à la fois les rivalités et les coopérations qui se tissent à l’échelle internationale en zone arctique.
Le Groenland, en route vers son indépendance, tisse aussi des liens avec ses voisins. Durant l’été, Air Greenland propose, deux fois par semaine, des vols directs entre Iqaluit, capitale du Nunavut, et Nuuk, capitale du Groenland. Kim Kielsen, le premier ministre groenlandais, a déjà proposé un rapprochement aux dirigeants du Nunavut, autre territoire Inuit[4] dont le Canada a consacré l’autonomie en 1999.
Après le Groenland, le Nunavut est un exemple du pouvoir politique considérable qui les Inuits ont réussi à acquérir sur un de leurs territoires. Des avancées sensibles ont également été obtenues par les Inuits du reste du Canada qui possèdent à présent collectivement une grande partie de l’Arctique. Mais au Nunavut, comme au Nunavik ou au Groenland, des problèmes structurels restent néanmoins à résoudre pour amener les Inuits au niveau d’éducation qui leur permette de s’insérer efficacement dans l’économie globale d’aujourd’hui et d’être moins dépendants des cours des matières premières. Les ressources humaines sont le talon d’Achille des Inuits. L’Université de Nuuk la capitale du Groenland, ne compte actuellement qu’environ 150 étudiants et nombre de Groenlandais qui partent à Copenhague ou ailleurs pour étudier ne reviennent jamais au pays.
______________________________________________________
[1] Overland, J. E., Wang, M., Walsh, J. E. and Stroeve, J. C. (2014), Future Arctic climate changes: Adaptation and mitigation time scales. Earth’s Future, 2: 68–74.
[2] Le pergélisol ou permafrost est un sol qui est gelé en permanence
[3]Le Conseil de l’Arctique regroupe huit États riverains des régions arctiques ou circumpolaires: le Canada, le Danemark, les États-Unis, la Finlande, l’Islande, la Norvège, la Russie, et la Suède), sept organisations représentant les peuples autochtones, douze États dits observateurs qui peuvent assister aux débats mais n’ont pas de droit de vote, et vingt organisations gouvernementales ou non gouvernementales, également observatrices.
[4] Les Inuits sont les habitants autochtones de l’Arctique nord-américain, de l’Alaska au Groenland, un territoire qui s’étire sur plus de 6000 kilomètres. Il y a environ 100.00 Inuits. Les Inuits partagent de nombreux points communs y compris linguistique avec les habitants autochtones des rivages européens et asiatique de l’océan arctique.