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L’être humain devient réparable

Dans son célèbre livre intitulé « L’homme neuronal [i] », le neurobiologiste Jean-Pierre Changeux indiquait que l’homme pouvait se réduire à son cerveau. Quelle que soit les modifications apportées à notre corps, des dents artificielles aux prothèses de hanche en passant par les greffes d’organes et les amputations, nous restons nous-mêmes.

La liste des « pièces détachées » disponibles pour réparer le corps humain ne cesse d’ailleurs de s’allonger avec l’impression 3D qui permet d’étendre encore davantage le champ des possibles pour les chirurgiens.

En Australie, l’équipe du docteur Ralph Mobbs vient d’implanter, sur une adolescente de 14 ans, une vertèbre en titane spécial réalisée grâce à une imprimante 3D. Selon le neurochirurgien qui a pratiqué cette intervention, l’opération était très délicate car elle touchait la moelle épinière et seule l’impression 3D permettait de préparer une prothèse sur mesure qui s’adaptait parfaitement au squelette de la patiente.

En Grande-Bretagne, à l’Institut de médecine génétique de l’Université de Newcastle, l’équipe du Professeur Che Connon a réalisé la première cornée sur mesure par bio-impression. Dans un premier temps, des cellules souches sont prélevées sur le patient et mise en culture afin de pouvoir les incorporer à une encre biologique constituée d’un hydrogel suffisamment épais pour conserver sa forme, mais assez souple pour pouvoir être extrudé par la buse de l’imprimante. L’œil du patient est d’abord scanné afin de pouvoir créer un modèle informatique en 3D de sa cornée puis ce modèle est utilisé pour l’impression 3D de la prothèse.

La recherche est également active pour imprimer des organes plus complexes grâce à l’utilisation de cellules souches qui peuvent se multiplier et se spécialiser pour fournir la matière biologique. Toutefois à ce niveau il ne suffit pas d’accoler des cellules ensemble, il faut également prévoir le réseau de vaisseaux et le réseau nerveux qui va permettre aux cellules de vivre, de se nourrir, de respirer et de communiquer entre elles.

En Australie, des chercheurs du laboratoire des biomatériaux de l’Université de Sydney ont ainsi mis au point une technique d’impression qui permet de vasculariser un tissu artificiel. Leurs travaux qui peuvent se révéler essentiel pour la fabrication d’organes rejoignent ceux d’une équipe de l’Université de Tel Aviv qui a réussi l’impression d’un modèle réduit de cœur humain avec ses vaisseaux sanguins en utilisant une encre biologique mise au point à partir de cellules souches d’un patient.

A terme, le cœur, le foie, le pancréas ou les reins humains devraient donc pouvoir être imprimés et transplantés. Produits à partir d’un tissu issu des cellules du receveur, ils minimiseront les risques de rejet et répondront à une demande d’organes en constante augmentation. Des premiers essais en ce sens ont déjà lieu avec des animaux. Des chercheurs ont ainsi déjà implanté des ovaires bio-imprimés à des souris stériles qui par la suite ont donné naissance à des souriceaux en parfaite santé[ii].

Le Dr Zhang, enseignant à l’école de médecine d’Harvard, imagine déjà une machine analogue au robot de cuisine : « vous aurez quelques boutons à votre disposition, il suffira d’appuyer sur l’un d’eux pour choisir un tissu cellulaire de cœur ou un tissu cellulaire de foie[iii] ». Nous n’en sommes pas encore là mais déjà apparaissent des bio-imprimantes à moins de 20 000 euros. Les startups pionnières comme la suédoise Celllink ou l’américaine Allevi ne sont plus les seules sur le marché. Les grands groupes s’y mettent : Astellas Pharma, Bristol-Meyers Squibb, Merck, Novartis, etc. Le marché des bio-imprimantes explose et le chiffre d’affaires du secteur dépassera les dix milliards de dollars en 2030.

En bio-ingénierie tissulaire, les biomatériaux synthétiques ont aussi fait une entrée fracassante. Ils sont aujourd’hui utilisés dans de nombreux domaines thérapeutiques : orthopédie, ophtalmologie, dermatologie, néphrologie, neurologie, cardiovasculaire, etc. Ils peuvent être inertes ou bioactifs et comporter plusieurs couches synthétiques dont la dernière permet une meilleure intégration de l’implant. C’est le cas par exemple des revêtements d’hydroxyapatite, utilisés pour améliorer l’intégration d’un os artificiel.

Plus spectaculaire, une équipe de l’INSERM, sous la direction de Nadia Benkirane-Jessel, spécialisée en médecine régénérative, a mis au point une nouvelle génération d’implants ostéo-articulaires en combinant des cellules souches et des facteurs de croissance de l’os : ces implants « intelligents » réalisent la régénération d’une articulation abimée[iv].

Au Canada, le CHU de Québec et l’Université Laval ont réalisé une autre première : reconstituer de l’épithélium cornéen à partir de cellules souches. À cet effet, les chercheurs ont prélevé des cellules souches dans l’œil resté sain d’un malade puis les ont mises en culture pour obtenir un nouvel épithélium qu’ils ont ensuite greffé sur l’œil atteint. Pour éviter de prélever les cellules souches dans l’œil sain, le biologiste Daniel Aberdam et son équipe de l’hôpital Saint-Louis à Paris ont réussi à déprogrammer des cellules de cheveux et à les transformer en cellules souches de cornée.

Avec la robotique et de l’informatique, les prothèses mécaniques deviennent aussi des options prometteuses. Dès 2001, cette option fut retenue pour Jesse Sullivan, un électricien qui a dû être amputé des deux bras au niveau des épaules après avoir une électrocution au contact d’une ligne à haute tension. Cet Américain était le premier accidenté à recevoir des prothèses bioniques. Les bras artificiels équipés de capteurs étaient reliés électriquement au système nerveux du patient via les terminaisons restantes des nerfs qui commandaient les bras perdus. Les nouveaux bras renfermaient également un ensemble informatique, sorte de micro-ordinateur, capable de piloter les différents moteurs et éléments mobiles des prothèses. Jesse Sullivan pouvait alors diriger ses bras bioniques par la pensée à partir de ses ordres transmis au micro-ordinateur lequel pilotait les mouvements des prothèses et accomplir les gestes essentiels à la vie quotidienne. Depuis, de nombreux autres progrès ont été faits pour faire bénéficier les prothèses artificielles des avancées de l’intelligence artificielle, et de la robotique.

Les chercheurs travaillent en outre sur de nouvelles approches chirurgicales pour qu’une prothèse implantée soit perçue par le receveur comme un membre naturel. Pour cela, ils ajoutent à la prothèse des muscles artificiels qu’ils relient aux nerfs existants afin que le receveur ressente les niveaux d’effort et de force exercés par le membre bionique lors de ses mouvements. Le Centre pour la Médecine Bionique du Shirley Ryan Ability Lab, l’un des plus avancés dans le domaine des prothèses intelligentes, estime qu’en 2050, une personne amputée pourra vivre totalement normalement et percevoir son membre artificiel comme s’il était le sien propre.

[i] Jean-Pierre Changeux, “L’homme neuronal”. Fayard (1983).
[ii] Catharine Paddock, “3-D-printed scaffolds restore ovary function in infertile mice”. Medical News Today (2017).
[iii] Eliza Strickland, “New Bioprinter Makes It Easier to Fabricate 3D Flesh and Bone”. IEEE Spectrum (2017).
[iv] Nadia Benkirane-Jessel et al., “Smart Implants as a Novel Strategy to Regenerate Well-Founded Cartilage”. Trend in biotechnology (2017).

Jacques CARLES

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