Le sable est d’abord utilisé, avec le gravier, dans le secteur du bâtiment et des travaux publics. Son usage ne se limite cependant pas à la construction des bâtiments ou des routes. Le sable siliceux est tout aussi indispensable pour l’industrie du verre, pour la filtration et le traitement de l’eau potable, pour les puces de silicium et bien en d’autres industries. On le retrouve donc, sous une forme ou sous une autre, dans nombre d’objets courants aussi variés que nos dentifrices, nos pneus, nos détergents, nos cosmétiques, nos peintures, nos téléphones et nos ordinateurs. Le sable coquillier, particulièrement calcaire, sert quant à lui pour les amendements agricoles.
Le sable et le gravier sont aujourd’hui devenus des produits alimentant un marché mondial colossal, plus important encore que celui des hydrocarbures. Pour répondre à la demande, environ 40 milliards de tonnes de sable et de gravier sont actuellement extraits dans le monde chaque année [1]. Une quantité qui représente deux fois la quantité annuelle des sédiments charriés par toutes les rivières et fleuves du monde.
Il faut environ 200 tonnes de sable ou de granulat pour construire une maison, quelque 3.000 tonnes pour un hôpital, 30.000 tonnes pour un kilomètre d’autoroute et 12 millions de tonnes pour une centrale nucléaire !
Le sable résulte d’un processus d’érosion qui s’est déroulé sur des milliers d’années or aujourd’hui la demande ne cessant de croître l’extraction du sable s’intensifie partout dans le monde à un rythme bien supérieur au rythme de son renouvellement naturel. Cette situation a de graves conséquences sur l’environnement.
Rien qu’en Chine, la demande de ciment a grimpé de 437% durant des 20 dernières années contre un respectable 60% pour le reste du monde. Un chinois consomme aujourd’hui 7 fois plus de ciment qu’un américain. La Chine, devenu premier producteur du monde, fournit aujourd’hui 58% du ciment de la planète bien avant l’Inde (7%) et les Etats-Unis (2%). Quand on sait qu’il faut entre 6 et 7 tonnes de sable (ou de gravier) par tonne de ciment, on a une idée de l’accélération de la demande de sable qui accompagne le développement de la Chine et des pays émergents.
L’essentiel du sable ou du gravier a longtemps été extrait du lit des fleuves ou de carrières, notamment celles jouxtant les côtes. Il est à présent de plus en plus prélevé sur les plages et depuis quelques années sur les fonds marins.
L’exploitation des fleuves et des rivières a des conséquences souvent désastreuses pour le cheminement des eaux et pour l’alimentation des nappes d’eau souterraines. Le service d’alerte environnemental des Nations-Unis donne l’exemple du bassin hydrographique du lac Vembanad, un des lacs très touristiques de l’Inde. Douze millions de tonnes de sable y sont extraites chaque avec pour conséquence une baisse dramatique du niveau des eaux de plusieurs centimètres par an. L’exploitation du sable fluvial se traduit également par des dégradations de la qualité des eaux ainsi que par des dommages pour la faune et la flore. Enfin, les matériaux enlevés des fleuves et des rivières sont autant d’alluvions qui n’iront plus à la mer pour contribuer à la stabilisation des plages.
L’extraction du sable concerne avant tout le sable marin ou le sable fluvial car la nature physico-chimique du sable du désert le rend impropre pour de nombreux usages, en particulier la surface trop lisse de ses grains empêche leur agrégation et le rend inutilisable pour la construction. A Dubaï, la construction de la première phase du complexe des îles artificielles de Palm Jumeirah et de sa tour géante de 828 mètres de haut a nécessité 385 millions tonnes de sable. Pour, la seconde phase du projet, Palm Jebel Ali et les 300 îles artificielles représentant la carte du monde, ce ne sont pas moins de 450 millions tonnes de sable qui ont été requises. Ces projets ont complétement épuisé le peu de sable marin disponible à Dubaï et l’essentiel a dû être importé d’Australie.
Le cas de Dubaï illustre combien l’exploitation du sable peut avoir des conséquences pour l’environnement. Dans le monde, on estime que 75 à 90% des plages naturelles sont menacées de disparition d’ici la fin du siècle et que nombre de nappes phréatiques côtières courent le risque d’être salinisées avec les impacts négatifs prévisibles pour les terres agricoles. Après le sable des carrières terrestres, après le sable fluvial, après le sable des plages, l’extraction se fait donc de plus en plus en mer pour répondre à la demande.
Cette exploitation se fait généralement près des côtes ce qui est plus facile et plus économique. Le pompage du sable marin crée des trous que les actions combinées du vent et des vagues rebouchent avec le sable ce qui accélère le retrait des plages et l’érosion du littoral. Avec des navires spécialisés capables d’engloutir chaque jour 400.000 m3 d’un matériau le processus peut être rapide.
Lorsque le mal est fait, il est difficile de revenir en arrière. En Floride, par exemple, la plupart des plages sont menacées de disparition. Pour tenter de remédier au problème des bateaux dragueurs pompent le sable au large des côtes et le rejettent sur la plage. Ce faisant ils créent au large des fosses profondes que la nature cherche à combler ce qui ne fait qu’amplifier le cercle vicieux de l’érosion des côtes et de la disparition des plages. Pour sauver son industrie touristique largement dépendante des plages, la Floride envisage maintenant de faire venir du sable des Bahamas. Une fuite en avant qui pourrait avoir des effets catastrophiques sur l’environnement du golfe du Mexique.
Le commerce du sable est de plus si lucratif que dans divers pays il fait l’objet de trafics plus ou moins troubles. En Inde, 2 milliards de tonnes de sable sont ainsi exploités illégalement dans le pays au profit de la mafia locale de l’immobilier. Singapour, pour s’étendre sur la mer et créer ses îlots artificiels, utilise tous les artifices possibles pour importer des milliards de tonnes de sable d’Indonésie, du Cambodge, du Vietnam ou de Malaisie en dehors de toute règle légale. Des iles entières et des plages ont déjà disparues dans les pays ainsi pillés. Du fait de la disparition de certaines de ses îles, l’Indonésie a vu ses frontières internationales modifiées. Le Vietnam, bien doté en sable par le passé, n’arrive plus aujourd’hui à couvrir ses propres besoins. Au Maroc, le trafic clandestin le dispute aux filières légales pour alimenter les constructions de l’industrie touristique. On estime que déjà 40% du sable du littoral du pays a été dérobé. Certaines plages n’existent tout bonnement plus.
Après avoir pris du sable sur terre jusqu’à l’avoir en grande partie épuisé, le risque se reporte donc de plus en plus sur les plages et au fond des mers mais là encore « en dépit des apparences, le sable est une ressource rare» comme le rappelle Christian Buchet, Directeur du Centre d’études et de recherche de la mer de l’Institut catholique de Paris [2].
[1] United Nations Environment Program: Global Environmental Alert Service (GEAS)
[2] Le livre noir de la mer – Christian Buchet. Editions du Moment, 2015
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