Tout système économique fini par être remplacé par le suivant. Le système féodal a tenu quelques siècles puis il a disparu. Le capitalisme a vu le jour avec la révolution industrielle; aujourd’hui il donne des signes d’essoufflement avec ses crises à répétition, ses inégalités croissantes et ses impacts négatifs sur l’environnement.
Le capitalisme repose sur la création de valeur par le travail. Comme Adam Smith et David Ricardo, Karl Marx explique que la valeur ajoutée (ou plus-value) est la différence entre la valeur de la production d’un bien et le coût des éléments qui sont nécessaires à la fabrication de ce bien. Le « travailleur » doit donc produire plus de valeur ajoutée que le salaire qui lui est versé pour que l’employeur puisse amortir ses investissements et garder un profit pour lui-même. Or la concurrence actuelle dans l’économie mondialisée est telle que les prix de vente, en valeur réelle, corrigées de l’inflation, sont structurellement en baisse. Comme l’employeur doit continuer d’investir pour soutenir la concurrence et survivre, il ne peut maintenir son profit que s’il baisse les coûts de production et notamment les frais de personnel. Pour cela, il peut se rapprocher d’un concurrent pour mutualiser les moyens et réduire ses frais de structure. Cette voie conduit au processus de fusion ou d’acquisition entre concurrents dont on connaît les effets pervers et les détresses sociales qu’elles génèrent. Il peut aussi baisser les salaires de ses employés ou plus radicalement délocaliser la production dans des pays à bas coûts de main d’œuvre, ce qui lui permet de réduire la masse salariale. La solution de la robotisation, qui réduit les frais de personnel à moins de 10 % des prix de revient, est l’ultime réponse pour accroître la compétitivité.
Le problème c’est que la machine, même intelligente, ne produit pas de valeur ajoutée : on ne peut pas “exploiter” une machine. Sur le marché libre, le prix d’achat ou de location de la machine correspond exactement à la valeur qu’elle peut produire. Dans l’entreprise automatisée, l’assise du profit ne repose plus que sur le personnel résiduel qui est soumis à d’énormes pressions pour accélérer les cadences et faire des gains de productivité.
A l’ère industrielle, la force mécanique de la machine l’a emporté sur la force musculaire de l’homme. Aujourd’hui, avec l’intelligence artificielle, c’est la machine et ses algorithmes qui concurrencent le cerveau de l’homme. Tous les postes sont concernés par la concurrence entre humains et machines ; pas seulement la production, pas seulement les fonctions d’exécution. Les services en général, y compris ceux nécessitant les expertises les plus pointues, verront les machines ou les logiciels remplacer les personnes. Les notaires et les médecins ne seront pas plus épargnés que les caissières de supermarché ou que les livreurs remplacés par des drones. Une nouvelle organisation de la société sera donc inéluctable.
Aux temps préhistoriques, le travail n’existait pas. Il a été « inventé » avec la révolution agricole il y a 10000 ans. Dans l’Antiquité le travail, celui des champs, celui des tâches ménagères et plus généralement celui des sales besognes que l’on fait dans la souffrance, était confié aux esclaves. A l’époque de Périclès, dans certaines cités grecques, les esclaves pouvaient représenter jusqu’à 90 % de la population. Les citoyens possédaient des esclaves comme aujourd’hui le particulier possède une machine à laver ou l’entrepreneur une machine-outil. Si les citoyens ne travaillaient pas, ils n’étaient pas oisifs pour autant. Ils s’occupaient de la chose publique, du bien commun, de l’éducation, des arts, etc. Bref ils avaient une activité intéressante, épanouissante, utile et reconnue. Pour améliorer le bien-être des citoyens, au 4ème siècle avant notre ère, Xénophon proposait déjà que l’État mette en place un système d’esclaves « publics » pour satisfaire les besoins de la collectivité.
Aujourd’hui, celui qui ne travaille pas ne s’en réjouit pas. Au contraire il se sent inutile. Sans revenu, il ne perçoit guère d’autre choix que le suicide, la drogue ou la révolte contre une société qui l’exclut et refuse de lui donner un rôle. Le travail n’est pourtant pas naturel, c’est-à-dire qu’il n’existe pas dans la nature. Il peut même une perversion freinant l’activité civilisatrice. Quand l’homme maitrise le feu, il ne fait pas un travail. Il créé une technique qui transforme un ennemi en allié. Quand Pasteur invente un vaccin contre la rage, il ne travaille pas. Pas plus que Mèliès quand il invente le cinéma. La civilisation n’est pas la conséquence du travail mais plutôt le résultat du temps disponible pour faire autre chose que travailler, du temps pour réfléchir, pour créer ou pour échanger des idées.
Dans le futur, les « nouvelles » technologies d’aujourd’hui seront obsolètes et les hommes disposeront de pouvoirs technologiques que nous n’imaginons même pas. Les machines auront alors détruit le travail définitivement. Aidés de centaines de millions de robots intelligents qui prendront en charge l’essentiel de la production de biens et de services, les hommes pourront consacrer leur temps à des activités nobles et à l’intérêt général. L’idée même d’aller travailler ne viendra alors plus à l’esprit de personne. Inventé il y a 10.000 ans le travail aura disparu et aura été une parenthèse dans la longue histoire de l’humanité débuté il y a 3 millions d’années.
Ce temps sans travail viendra sans doute plus vite que prévu. Il faut donc s’y préparer dès maintenant. Comment gérer la transition? Qui possèdera les robots : des particuliers ou la collectivité? Comment seront garanties la sécurité et la confidentialité de leurs usages? Que feront les hommes de leur temps libre et quelles seront leurs sources de revenus ?
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